Le temps est venu de vous raconter les péripéties extraordinaires d’un comédien néophyte ordinaire !
Imagine que tu es un futur comédien – enfin tu te rêves comme tel ☺ – tu te présentes à l’audition bredouillant, suant, stressant et surtout ta tête est pleine des ragots de couloir : « Elle demande ça, et puis tu te rends compte il faut faire ça et tu as plus de chances si, et on verra mais, moi j’ai suivi les conseils de » etc. etc.
Il paraît qu’elle demande une chanson à l’audition ! T’imagines ? une chanson ! Mais allo, quoi ! Je vais quand même pas chanter du rétro !? Si ? Elle aime quoi ? Brel, Brassens, Ferrat ? My God ! Et si je chantais du Céline ? Ca plairait au moins à Charlène. Un juré c’est un juré ! Et François ? Qu’est-ce qui le fait flipper, François ? Personne ne sait ! Au secours !!!! Le blanc ! le vide ! le bide quoi ! T’imagines ? Tu choisis M Pokora et il adore Stromae, quoi ! J’hallucine ! Mais, bon, je pense qu’il vaut mieux lui plaire à ELLE, donc je vais choisir euhh Brel, « Amsterdam » : « Dans le port d’Amsterdam, y a des marins… » Bon ! Brel c’est pas mon truc… Brassens ? C’est très top contrebasse ça : « Gare au goriiiille, gare au gorille… » Mais comment je vais pouvoir exprimer ma sensibilité, là-dessus ? Toute ma personnalité secrète et tout ? Alors ? Ferrat ? Oups ! J’y connais que dalle, à Ferrat, moi ! Bon, et si on misait sur François, voyons Il doit kiffer des trucs du genre « La salsa du démon », non ? Ouais ! c’est bien ça, ma sœur a fait ça il y a deux ans, ils s’étaient déguisés et tout et ça a marché !!! Ils ont été retenus ! Olé ! Oui, mais s’ils ont fait ça y a deux ans, on va pas le refaire, là ! On va nous taxer de plagiat, d’absence d’originalité, on va nous massacrer là ! Non, i faut trouver un truc qui ne s’est pas encore fait, qui plaise aux 3 jurés, qui permette d’exprimer les facettes sensibles et sincères de ma personnalité, qui fasse le buzz…aaaaaaaaahhh !!! c’est pas encore demain la veille ! au secours ! je vais jamais y arriver…
Ca c’était les cogitations désespérées de la candidate – non ! je ne donnerai aucun nom ! – qui s’y était prise un peu trop tard et qui s’apercevait avec horreur qu’il était peut-être temps de réagir…
Dans un autre coin de la salle, le mec organisé. Lui, il se prépare à l’audition depuis des mois. Il a pris un coach, il a choisi soigneusement son partenaire de réplique. Et il s’est penché les soirs d’hiver sur tous les textes susceptibles de mettre en évidence sa personnalité artistique. Il tient le bon filon ! Il est sûr de lui ! Il ne PEUT pas passer à côté du rôle. Il a travaillé sa diction, sa gestuelle. Il a pris des cours de chant. Donc l’épreuve a cappella, il maîtrise ! Bref, le mec préparé il est ZEN. Enfin, presque… Parce que, comme tout le monde, il a les mains moites, mais il a dégoté un truc super efficace contre les mains moites – non, il va quand même pas vous dévoiler tous ses secrets ! – il est un peu nerveux, mais son coach lui a appris la respiration du yogi. Et il est même capable de se réchauffer juste en respirant assis en lotus tout nu au sommet de l’Himalaya ! Donc il va bien venir à bout d’un stress léger…
Et puis il y a celui qui ne gère pas son stress du tout et qui n’arrête pas d’entrer et de sortir, de bouger, de faire les cent pas, de se gratter le cuir chevelu, le cou, les mains, les genoux. Il s’assied, se relève aussitôt, déplace sa chaise de 3 millimètres, se rassied, se relève, sort en courant – il doit filer aux toilettes, susurre une « copine ». Un fracas dans le corridor : la porte (des toilettes) claque et le (peut-être futur) comédien a entamé des vocalises : il s’échauffe la voix. Comme l’acoustique du couloir est – comment dire ? plutôt … merdique – ça résonne bientôt de partout. Certains se précipitent pour le calmer, le faire taire, le bâillonner peut-être. C’est que ça s’énerve vite, un groupe de jeunes comédiens juste avant une audition qui décidera de leur avenir…
Il y a aussi, assise au plus près de la metteure en scène, celle qui se la joue, celle qui s’est habillée en noir, avec un décolleté suggestif et des talons un peu trop hauts. Elle s’est isolée, un sourire satisfait sur ses lèvres peintes. Elle jette de temps en temps un regard légèrement méprisant sur ses camarades survoltés. Dès qu’elle peut dire un mot à François ou à Charlène, elle le fait. Elle emploie de préférence un vocabulaire technique choisi : elle parle de la « construction psycho-physique » de son personnage avec François, à Charlène, elle révélera sa lecture de Stanislavski – en tout cas elle en a lu quelques extraits ! qui l’ont vraiment nourrie ! qui ont changé sa façon d’envisager le théâtre etc. Sur ses genoux, des pages dactylographiées, fluorées, annotées qu’elle relit ostensiblement lorsqu’elle discerne le regard d’un des jurés qui se pose sur elle.
Charlène jette un coup d’œil à son smartphone, se lève et lance : « Tenez-vous prêts, l’audition commence dans 5 minutes ! Nous commencerons par l’épreuve du chant. Nous allons tirer au sort l’ordre de passage. » La trentaine de candidats se précipite autour de Charlène en bourdonnant. Des exclamations fusent, et c’est Mademoiselle A.N. qui sera la première à monter sur la scène…