Il est une tradition à l’ATSR –  Qui l’institua un jour d’hiver morose ? Je ne sais… – qui remonte maintenant à « notre » nuit des temps : chaque anniversaire d’un de nos jeunes membres est fêté au champagne ! Veuve Clicquot ? Dom Pérignon ? On a le droit de rêver mais quand on fouille nos poches vides, on revient vite à la réalité. Qu’à cela ne tienne ! Champagne = bulles. On fêtera donc aux bulles : il y en a tellement ! Les comédiens en herbe ont vite découvert les « champagnes » des fauchés : cava, Crémant, vin effervescent, prosecco… Du moment que le carton comportait au moins une bouteille de brut, la metteure en scène était partante. On a fêté NNN (« Les Aventures de Nathalie Nicole Nicole » pour ceux qui auraient oublié) au champomy – traficoté bien sûr ! Mais l’épopée des trois enfants-monstres valait bien tout le champagne du monde !

Le projet actuel n’a pas dérogé à la règle et je crois même qu’Antonin, Adrienne et les autres ont eu un malin plaisir à faire péter les bouchons le plus loin possible ! Tandis qu’Amandine restait stoïquement assise sur la scène en attendant la conversation et qu’Isolde entonnait à tue-tête pour la dixième fois « Libérééééée, délivrééééée… », « Let it goooo, let it goooo, Turn away and slam the door… » !!!

Certains vendredis, les plus sagaces d’entre nous pouvaient entendre tintinnabuler dans les sacs les bouteilles qui surgiraient à la fin de la répétition. Pas de problème pour les garder au frais : les locaux étaient glaciaux la plupart du temps ! Et l’hiver est long en Belgique ! D’autres arrivaient en serrant bien fort dans leur giron des sachets qui bruissaient et crissaient : les assistants à la mise en scène – Charlène et François pour ne pas les nommer – avaient vite fait de reconnaître chips, bugles et autres pringles qui accompagneraient tout à l’heure nos agapes commémoratives.

Il y avait les annivs de l’automne, les annivs de l’hiver et les annivs du printemps. Ceux de l’été anticipaient leur fiesta : ils ne voulaient pas rester en rade et, comme nous ne répétions pas en été… il leur fallait se montrer astucieux, si bien qu’il nous est arrivé de fêter plusieurs anniversaires à la fois ! Ca c’était les grands jours, les jours de grand « buffet », les jours de « multiplication des pains » ! Et il en restait toujours quelques-uns parmi nous pour écluser les fonds de bouteille avant la reprise des vidanges par les plus courageux qui se chargeaient de repasser par la bulle à verre avant de rentrer dans la nuit froide.

Pendant ces moments volés, ces bouts de soirée dérobés au travail théâtral, François et Charlène s’affairaient beaucoup. Non, ils n’aidaient pas Noémie et Antonin au déballage des « apéricubes », non, ils n’ouvraient pas les bouteilles avec Cyril, non, ils ne vissaient pas les pieds des verres en plastique, ils partaient à la pêche aux ragots ! Qui est amoureux de qui ? qui a changé de partenaire, qui s’est pris les pieds dans le tapis à la dernière interro, qui s’est ramassé un « blâme » devant ses copains etc. Oui, mes pauvres amis, François et Charlène en étaient là : ils alimentaient la gazette « L’oreille fureteuse ». Et là, qu’est-ce qu’on en a appris comme cancans,  potins,  commérages ! Qu’est-ce que ça a clabaudé dans tous les coins ! Enfin ! je laisse croire à mes deux assistants préférés que leur pratique avait pour unique finalité de créer des liens et d’approfondir la relation. Ben voyons !

Un soir – je ne sais plus de quel mois – notre ami Valentin qui n’avait jamais bu une seule bulle alcoolisée de sa vie, décida de faire le grand saut. Nous étions toutes et tous suspendus à ses gestes, scrutant du coin de l’œil ses moindres réactions. Il trempa ses lèvres dans le liquide doré, leva les yeux au ciel, but une première gorgée, une deuxième et bientôt avala le verre entier comme s’il ce fût agi de limonade. Stoïque, il reposa le gobelet sur la scène, se tourna vers nous et esquissa un grand sourire un peu béat. « Alors ? Valentin ? Tu te sens comment ? » Tous le pressaient de questions et remarquèrent vite que ses yeux brillaient un peu plus fort, que ses boucles brunes avaient l’air un  peu plus fofolles et que ses sourires étaient un peu trop larges. Valentin était baptisé ! Ce fut – à ce que je sache – sa seule expérience des bulles…